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De Sarkozy à Macron : l’héritage du chaos libyen

Alors que « le printemps arabe » semble gagner nombre de pays arabes, notamment en Afrique du Nord, en février 2011, la révolution frappe à la porte de la Libye. Devenu un casse-tête pour la communauté internationale, le chaos libyen est un cadeau des présidents français successifs.

Les combats opposent les forces fidèles au colonel Mouammar Kadhafi à celles des rebelles opposés à son régime. Les insurgés ayant perdu beaucoup de terrain se sont retranchés notamment à Misrata et surtout Benghazi. À la veille de l’assaut final contre cette dernière ville, ils sont alors menacés d’une répression sanglante par le régime libyen.


La France au premier plan pour une intervention en Libye

C’est de Paris que viendront les premières initiatives pour une intervention internationale en Libye.

Le 10 mars 2011, l’ancien président français, Nicolas Sarkozy, reçoit à Paris les représentants du « conseil national de transition » et est le premier chef d’État à reconnaître officiellement cet organe de l’insurrection comme seul représentant de la Libye. Le lendemain, 11 mars 2011, la France, avec le soutien de Londres, soumet au sommet de Bruxelles une demande d’instauration d’une zone d’exclusion aérienne.

La chancelière allemande, Angela Merkel, refuse et reçoit le soutien d’une majorité des 27 États de l’Union européenne. Le président Sarkozy se retrouve isolé lors du sommet du G8 à Paris. Cependant, c’est auprès de pays du Moyen-Orient, en froid avec Kadhafi, que Paris trouve son appui. La Ligue arabe demande l’instauration de cette zone d’exclusion aérienne.

L’avancée des troupes de Kadhafi sur Benghazi est telle qu’un massacre de grande ampleur est annoncé. Le président américain, Barack Obama, rejoint le président Sarkozy et le Premier ministre britannique en place, David Cameron.

Le 19 mars, deux jours après le vote de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, la France débute la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus du territoire libyen.

La résolution de l’ONU

La résolution 1973 : Le Conseil de sécurité a décidé, ce soir, d’interdire tous vols dans l’espace aérien de la Jamahiriya arabe libyenne pour protéger la population civile et pour faire cesser les hostilités.

Aux termes de la résolution 1973, adoptée par 10 voix pour et 5 abstentions (Allemagne, Brésil, Chine, Fédération de Russie et Inde), le Conseil a décidé également que cette interdiction ne s’appliquera pas aux vols dont le seul objectif est d’ordre humanitaire ou encore l’évacuation d’étrangers.

La résolution, présentée par la France et le Royaume-Uni, autorisait en outre les États Membres à prendre au besoin toutes mesures nécessaires pour faire respecter l’interdiction de vol et de faire en sorte que des aéronefs ne puissent être utilisés pour des attaques aériennes contre la population civile.

La résolution renforce de plus l’embargo sur les armes imposé par la résolution 1970 (2011) -qui estimait que « les attaques systématiques et généralisées commises contre la population civile pourraient constituer des crimes contre l’humanité »-, en demandant aux États de la région de faire inspecter, dans leurs ports et aéroports, les navires et aéronefs en provenance ou à destination de la Jamahiriya arabe libyenne.]

L’intervention internationale et le rôle de l’OTAN

Le drame de la Libye, nombreux l’oublient ou l’occultent, notamment en France, a été planifié, programmé et exécuté en 2011, par l’Élysée qui y a impliqué l’OTAN, sous prétexte de débarrasser ce pays du Colonel Mouammar Kadhafi, ce « dictateur » que la France avait pourtant, peu de temps auparavant, accueilli en grand chef d’État, lui ouvrant ses jardins pour qu’il y installe sa tente.

Dans la forme, à la suite d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU à laquelle personne – pas même la Russie et la Chine – ne s’opposera, une coalition de 50 États se donne les moyens d’arrêter ce qui s’annonçait comme une catastrophe à grande échelle.

Sur les interventions militaires en Libye, la confusion règne. Il n’y a pas une opération en Libye mais quatre, voire cinq avec la mission Frontex de l’Union Européenne.

L’opération de la France

Le 19 mars 2011, la France, lance l’opération Harmattan, opération aéromaritime « pour protéger la population libyenne contre les attaques des forces du colonel Kadhafi ».

Le même jour, les États-Unis démarre l’opération « Odyssey Dawn », avec pour objectif de détruire les positions de l’armée de l’air libyenne et empêcher les bombardements.

Toujours le 19 mars, le Royaume-Uni lance son opération « Ellamy », dans le but de frapper les nœuds de communication stratégiques et de systèmes de défense anti-aérienne libyens.

Le dernier pays a lancé sa propre opération se trouve être le Canada, avec l’opération Mobile, dans le but de faire respecter la zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye ainsi qu’un embargo sur les armes décidés par l’ONU.

À partir du 31 mars 2011, l’ensemble de ces opérations des pays engagés en Libye, sont conduites par l’OTAN dans le cadre de l’opération « Unified Protector ».

Mais rapidement, notamment à Moscou, les frappes de l’OTAN en Libye ont été dénoncées, estimant que l’OTAN « outrepasse son mandat » en « ne faisant que bombarder », et appelant au plus vite à la phase politique.

L’opération a officiellement pris fin le 31 octobre 2011, après que les chefs rebelles, officialisés au Conseil national de transition, aient déclaré la Libye libérée le 23 octobre.

La « guerre de Sarkozy » en Libye

Le rôle premier de la France de Sarkozy dans l’intervention internationale en Libye, pour faire disparaitre Kadhafi, est pour certains, la preuve que l’ancien chef de l’État français voulait se débarrasser d’une affaire devenue trop encombrante, à tel point que Nicolas Sarkozy, en 2011, aurait plaidé de toutes ses forces en faveur d’une intervention en Libye.

Il s’agissait pour l’ancien président de la République française d’éloigner les témoins gênants, au premier rang desquels figure le colonel Kadhafi.

La destruction massive que le président Sarkozy a entreprise et son acharnement à faire disparaître celui qui auparavant faisait partie des convives privilégiés, ont commencé à révéler leurs machiavéliques dessous, à commencer par la disparition des preuves d’un occulte financement d’une campagne présidentielle. Sans compter les perspectives de juteux contrats pétroliers, gaziers et de reconstruction du pays à conclure avec les successeurs du « tyran ».

La mort de Kadhafi

En août 2011, la capitale Tripoli passe aux mains des rebelles. Kadhafi fuit à Syrte, sa ville natale, plus à l’est.

Les bombardements de l’OTAN finissent par obliger Kadhafi à une nouvelle fuite. Mais le 20 octobre 2011, les chasseurs français repèrent et bombardent son convoi.

Les rebelles retrouvent finalement le colonel Kadhafi et finissent par le lyncher en direct avec une mise à mort filmée par de nombreux téléphones et caméras.

Les soupçons « de financement libyen de la campagne de Sarkozy »

La justice française étudie toujours les présumées irrégularités dans le financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy en 2007, qui aurait été financée justement par le défunt Kadhafi.

En mars 2018, l’ancien président français a même été placé en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur « l’argent libyen » qui a débuté en 2013.

Le 21 mars 2018, Nicolas Sarkozy est mis en examen pour « corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de fonds publics libyens’’. Plusieurs de ses collaborateurs, ainsi que d’anciens ministres, Brice Hortefeux, Eric Woerth ou encore Claude Guéant, sont également mis en cause et mis en examen.

Selon le média d’investigation indépendant français, Mediapart, des documents affirment que Tripoli aurait, en 2006, donné son accord pour un financement à hauteur de 50 millions d’euros.

Le chaos libyen

L’instabilité et la guerre en Libye perdurent depuis 2011, après l’intervention internationale voulue par Nicolas Sarkozy.

La France, qui aujourd’hui prétend s’inquiéter du conflit opposant le GNA, Gouvernement d’entente nationale, reconnu par l’ONU et dirigé par Fayez al-Sarraj, au putschiste Haftar, est pourtant la première responsable dans l’enlisement du chaos libyen.

Le journaliste français, Jean-Marc Four, l’a récemment souligné dans une de ses chroniques au micro de la radio France Inter.

« Le péché originel est français. C’est Paris, en l’occurrence Nicolas Sarkozy en 2011, qui a déclenché le chaos libyen. En allant bien au-delà de la résolution de l’ONU sur le sujet, numéro 1973. Avec une intervention militaire visant à liquider Kadhafi sans avoir préparé la suite ».

L’ancien président, dans sa fixation à éliminer Kadhafi au plus vite, sans se soucier de la transition post-Kadhafi, a sans nul doute, une part de responsabilité très importante dans la crise libyenne qui perdure depuis 2011.

La politique du président Macron en Libye

Aujourd’hui, Paris, par le biais du président Macron et du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, accuse Ankara « de jouer un jeu dangereux en Libye », en référence au soutien apporté au gouvernement légitime libyen, le GNA.

La France semble ne pas apprécier les défaites répétées et le recul sur le terrain de son petit protégé, Haftar, accusant Ankara de violer l’embargo sur les armes imposé à la Libye.

Or, Paris ignore ouvertement les livraisons d’armes des pays soutenant Haftar, les EAU, l’Arabie Saoudite ou encore la Russie. Une situation qui se trouve d’ailleurs être dénoncée en France même. D’autant plus que certaines armes, exclusivement vendues par Washington à la France, se sont retrouvées dans les mains des forces pro-Haftar !

 

Le politologue François Burgat partageait il y a quelques jours sur les réseaux sociaux :

« Indécence française en Libye :

L’ingérence franco émiratie et russe en Libye ne peut pas être renvoyée dos à dos avec l’appui apporté par la Turquie au gouvernement légal de Tripoli, à sa demande. Les projets respectifs, la contre révolution autoritaire sur le modèle de Sissi d’un côté et de l’autre, le soutien d’un gouvernement qui reste à ce jour l’héritier légitime de la dynamique révolutionnaire ne jouent pas dans la même catégorie.
Piétiner en coulisses à Tripoli le multilatéralisme onusien que l’on prône à Washington, envoyer ses forces spéciales pour guider la percée d’un vilain candidat dictateur, pas grave quand on s’appelle Le Drian-Macron. En faire la moitié en s’appelant Erdogan, et avoir le culot de réussir, c’est juste in-to-lé-rable ! ».

 

Remise en question de la politique française

Face au discours de Macron, d’autres médias n’hésitent pas non plus à s’interroger sur la légitimité de la France dans ce conflit, citant des diplomates français sous couvert d’anonymat.

Le Canard Enchaîné a publié le 24 juin un article citant ces diplomates :

« Erdogan est le seul à jouer franc-jeu, sans dissimuler ses ambitions géopolitiques, militaires, pétrolières et gazières. Y compris en mer Méditerranée, au large de la Libye et près de Chypre ».

 

Dans sa chronique sur France Inter, Jean-Marc Four poursuit ainsi :

« Plus récemment, on ferait mieux de se taire aussi à propos du viol de l’embargo sur les armes. Vu que plusieurs indices témoignent d’une aide militaire française au maréchal Haftar : la mort à Benghazi de trois membres des services secrets français en 2016 et la découverte sur place de missiles américains vendus exclusivement à Paris ».

En effet, récemment encore, Macron ne cite aucun autre pays que la Turquie concernant l’embargo sur les armes. Il entend ainsi faire porter le chapeau à Erdogan le chaos libyen que la France a engendré.

La France n’a pas de leçons à donner

De surcroît, le journaliste a expliqué que « enfin, le soutien diplomatique français à peine dissimulé au maréchal Haftar ces dernières années, pose question. Puisque le pouvoir libyen reconnu légitime par l’ONU, c’est l’autre, le gouvernement Sarraj, celui que soutiennent les Turcs. Donc à ce compte-là, Ankara est plus légaliste que Paris ».

« C’est plutôt la France qui joue un jeu dangereux en Libye ».

Par ailleurs, le journaliste a souligné que « à cause de son soutien à Haftar, la France se retrouve désormais « engagée aux côtés de partenaires douteux ».

« On peut objecter que le droit c’est secondaire et qu’en politique, seuls les résultats comptent. Admettons. Sauf que là non plus, côté résultats concrets, la France n’a pas de leçons à donner. Sur le terrain, on a misé sur le mauvais cheval. En pariant plutôt sur Haftar parce qu’on veut un homme fort à Tripoli face aux menaces djihadistes venant du Sahel. Paris n’a pas fait le bon calcul », a-t-il martelé.

« Par-dessus le marché, la France s’est brouillée par la même occasion avec l’Italie qui elle est restée opposée à Haftar. Ça va un peu mieux maintenant, mais la plaie n’est pas totalement cicatrisée. Et l’Europe reste cacophonique sur le sujet libyen ».

Pourtant, la France, qui joue un rôle très ambigu en Libye, contrairement à ce qu’elle affirme, un rôle qui est loin d’être irréprochable du point de vue de l’embargo d’armes et de ses liens avec des régimes très contestables du Moyen-Orient, est en train de se marginaliser sur ce dossier.

Ses partenaires européens et dans l’OTAN ne partagent pas forcément la position anti-Turquie de Paris, du moins pas avec la même virulence, et estiment que le véritable danger en Libye est la présence de la Russie.

Rédaction avec Medyaturk.info

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About the author

Fatih Karakaya

Fatih Karakaya

Fatih Karakaya est né en 1977 à Kayseri en Turquie. Il est parti à l’âge de 10 ans en France. Après ces études de Turcologie à l’université de Strasbourg, il a commencé à travailler pour des journaux locaux en France.

Par la suite, il a écrit pour le site d’information Haber7 avant de devenir journalise Freelance.

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